L’année dernière, j’avais la chance de pouvoir participer à une expédition alpine au Kirghizstan en compagnie de 6 autres belges dont Pierre Dewit, l’Homme des Montagnes » que je te présentais d’ailleurs sur le blog dans une chouette interview. C’est aujourd’hui avec plaisir que je lui laisse raconter cette aventure humaine inoubliable, comme il sait si bien le faire…
Après un premier voyage au Kirghizistan, du côté du Pic Lénine, en 2013, je m’étais promis de revenir dans ce magnifique pays de montagnes. J’y suis alors retourné en août 2017…
Petit pays par sa taille, comparé à ses voisins géants, le Kirghizistan, d’une superficie 3 fois inférieure à celle de la France, regorge néanmoins de montagnes qui en couvrent 94%… Peut-être moins prestigieuses que la toute proche chaîne himalayenne, les montagnes kirghizes culminent tout de même, pour certaines, à plus de 6000m ou 7000m… Voilà pour le décor…
L’intérêt de la vallée de l’Ala Archa est surtout dans sa facilité d’accès par rapport à la capitale du pays, Bishkek. En effet, en 45 minutes de route (des vraies bonnes routes, un peu à la « belge »…), nous sommes au cœur de la vallée et l’aventure peut directement commencer. Généralement, les bus déposent les randonneurs ou les grimpeurs au fond de la vallée, là où s’arrête la route, à 2000m d’altitude. De là, une multitude de chemins donnent accès aux différents secteurs de la vallée.
Mon choix de « camp de base » s’était porté vers le refuge Ratseka, à 3330m, à partir duquel on peut effectuer énormément d’ascensions de sommets à plus de 4000m d’altitude, avec des centaines de voies de tous niveaux de difficulté.
Il y en a vraiment pour tous les goûts : de la simple randonnée « au sec » aux parois de glace les plus verticales et extrêmes… Il y a même des sommets encore vierges… des amateurs pour y aller ?
L’été 2017, j’ai donc eu le plaisir de partir avec 6 merveilleux compagnons avec lesquels j’ai pu découvrir ce secteur, Maxime Alexandre, Laurence Belot, Mike Collodoro, François Magnette, Véronique Mullender et Melissa Putman. Débutants pour la plupart, je pense qu’ils ont adoré !
La grande diversité des niveaux de difficulté a justement permis à chacun d’y trouver son compte. De plus, avec le grand luxe de retrouver chaque soir le refuge gardé et les repas chauds, notre voyage était vraiment sans difficulté. Ce format de voyage, justement, permettait à chacun de faire un peu son « planning ». Non itinérants, nous revenions tous les soirs au même lieu, nous nous retrouvions tous les 7, et chacun pouvait alors décider de se reposer ou de partir en course le lendemain. En fait, c’était presque trop facile !
Pour une première visite, et accompagné de 6 personnes, nous avons effectué les ascensions les plus classiques du secteur. De plus, nous ne sommes restés au refuge que 12 jours… Pour explorer tous les secteurs, sommets et l’ensemble des voies les plus connues, clairement, il faudrait des années.
Notre premier sommet fut l’Uchitel. C’est LE sommet facile du secteur. Avec ses 4527m d’altitude, il est très facile d’accès depuis le refuge. Départ vers 5h du matin en randonnée depuis le refuge jusque 3800m environ… Les 700 derniers mètres se gravissent facilement en « crapahutage » jusqu’à une arête plus marquée à 4400m qui mène alors, en mixte neige-rocher, au sommet.
L’encordement n’est vraiment pas indispensable. La seule chose à laquelle il faut faire très attention, et cela dans tout le secteur, c’est la très mauvaise qualité des rochers qui peuvent, par endroit, dangereusement parpiner… Il faut donc un peu gérer sa progression, surtout quand plusieurs groupes sont dans cette même voie d’ascension.
Comptez très à l’aise l’aller-retour en 6h30… L’absence de neige permet de ne pas forcément partir aux petites heures, sauf si c’est un choix, évidemment… Les lever de soleil sont toujours un magnifique spectacle en haute montagne…
Cette petite mise en jambe nous a vraiment donné l’envie d’explorer les autres sommets… Mais les prévisions météo en fin de journée pour le lendemain n’étaient pas très optimistes. On annonçait l’arrivée du mauvais temps depuis quelques jours, et là, nous n’allions pas y couper.
La montagne ne veut pas de nous…
En effet le lendemain, alors que nous avions prévu de faire l’ascension du Boks culminant à 4240m d’altitude, nous nous sommes levés vers 5h avec un ciel couvert… Nous décidons quand-même de tenter le sommet. Ce n’était pas un peu de pluie qui allait arrêter 7 vaillants belges…
Sur un tout autre terrain que celui emprunté la veille, c’est par la moraine du glacier Ak-Saï, en rive droite, que nous commençons alors notre ascension. Au départ, nous avançons de kairn en kairn à la frontale dans un pierrier labyrinthique. Puis le cheminement devient plus évident. Vers 3700m, la crête morainique s’estompe, et c’est précisément à cet endroit qu’il faut traverser sur toute sa largeur le glacier pour aller au pied du couloir sud du Boks. Malheureusement pour l’équipe, lors de cette traversée, des chutes de pluie/neige commencent et s’intensifient de façon inquiétante… Nous montons malgré tout 200m dans le couloir, mais les précipitations rendent le terrain encore plus instable. En dix minutes, tout est blanc. Nous craignons des départs spontanés de parpins. Le risque est trop grand, nous faisons demi-tour et nous rentrons au camp. Ce sera pour une prochaine fois, peut-être…
Il pleuvra abondamment tout le reste de la journée, nous obligeant à rester cloîtrés dans notre étroite chambre à jouer aux cartes… ambiance…
Pour le lendemain, où on annonçait le retour du beau temps durant la matinée, une partie de l’équipe décide de tenter l’ascension du Baïchechekeï .
Il s’agit d’un sommet déjà plus technique à 4515m d’altitude. Laurence et Véronique avaient besoin de repos. Maxime était, quant à lui, un peu malade et n’avait pas passé une bonne nuit. Je pars donc avec François, Mike et Melissa. D’un bon rythme, nous arrivons au pied de notre sommet, vers 4000m. Un choix d’itinéraire s’impose : soit on monte directement dans un pierrier, soit on contourne le tout en passant par une petite portion mixte. Nous prenons la deuxième option. Nous nous encordons et nous commençons à monter. Après avoir franchi cette petite portion raide (40° – 45°), c’est un spectacle magnifique qui s’offre à nous. Nous arrivons dans un cirque glaciaire magnifique où, à l’est, culminent en maîtres des lieux le Semionova Peak et le Corona peak.
Au nord, c’est une magnifique pointe qui se dresse devant nous et que nous identifions comme étant le sommet du jour. L’itinéraire nous semble des plus évident. En ligne directe d’où nous nous trouvons, la météo est magnifique, nous avons même trop chaud. Nous continuons à progresser, de nouveau dans du pierrier. Un dernier bastion nous oblige à un deuxième contournement… C’est après ce dernier contournement que nous connaissons peut-être la plus grande surprise de notre voyage… Arrivés à un col non répertorié sur notre maigre carte au 1:50.000, nous nous rendons compte que ce bastion que nous prenions pour le sommet n’est qu’un simple ressaut avant le « vrai » sommet qui est bien encore à 1km de nous. En soi, cela ne serait pas grave si, au même moment, nous ne verrions pas une énorme masse nuageuse noire fondre dans notre direction. Clairement, sans connaître dans quoi nous nous engageons pour atteindre le sommet, et sans savoir comment va progresser ce mauvais temps qui arrive droit sur nous, il n’y a pas une seconde d’hésitation, nous sommes à 4400m, il ne nous reste à peine un peu plus de 100m de dénivelé avant le sommet, mais nous redescendons quand-même. Afin d’être plus rapides, nous redescendons par une autre pente que celle de la montée. Celle-ci semble plus directe. Il nous faudra cependant reprendre une portion glaciaire crevassée nous imposant la plus grande des prudences. Les ponts de neige n’ont pas l’air de bien tenir…
Rentrés au camp, après une magnifique journée, où nous n’avons vu personne, nous faisons un peu la fête avec les locaux. Un chanteur et sa guitare nous emmènent sur les rythmes et les sonorités kirghizes…
Bien reposés, Véronique, Laurence et Maxime décident de repartir le lendemain. Je leur propose donc une petite randonnée glaciaire pendant que François, Mike et Melissa prennent un jour de repos. De retour vers midi, tout le monde prend un peu de repos, fait un peu de lessive et prend une douche… Oui, il y avait une « douche » au camp… qui a pris feu… mais ça c’est encore une autre histoire…
Le lendemain, je repars avec Melissa, Mike, François et Maxime. Direction l’Izyskatel, culminant à 4400m. Nous repartons donc tôt le matin pour reprendre pied sur le glacier Ak-Saï. Lors de notre tentative du Boks, nous n’avions fait qu’effleurer ce glacier. Cette fois, il nous faut aller beaucoup plus loin. Contre toute attente, il est plus tourmenté que ce que nous imaginions, ce qui ralenti notre progression, il faut contourner beaucoup de crevasses.
Nous zigzaguons comme ça pendant 2 heures lorsque nous arrivons sur ce qui était annoncé sur les cartes comme un refuge : l’hôtel Corona.
Cette simple cabane de tôles tient à peine debout. Pourtant, il y a du passage : des bonbonnes de gaz jonchent le sol, des restes de nourriture recouvrent une pseudo-table… tandis que les parois de la cabane sont décorées… disons… de photos de charmantes dames peu habillées… rires…
Après cette petite pause, nous continuons notre cheminement. C’est lorsque nous arrivons vers 4200m qu’un énorme miroir de glace se dresse devant nous. Le niveau global de notre groupe ne me permet pas de proposer de continuer. C’est donc de nouveau un demi-tour. Nous apprendrons que cette année, les précipitations ont vraiment été très faibles. Si bien que bon nombre de passages habituellement en neige sont totalement en glace.
Le jour suivant, nous reprenons encore un jour de repos, un vrai. Même pas de petite rando pour se dérouiller les jambes. L’oisiveté totale. Si bien qu’on finit presque par s’ennuyer en milieu d’après-midi. Heureusement, le programme du jour suivant est motivant. Nous allons retenter tous ensemble l’ascension du Baïchechekeï. Partis à 4h du matin, nous avons toute la journée devant nous avec des prévisions météo excellentes. Cette course va permettre à l’équipe d’enfin se retrouver en mouvement. Nous arrivons de nouveau à la bifurcation de notre première tentative. Cette fois, nous ne passerons pas par le contournement en mixte.
Nous allons directement prendre dans le pierrier. Bon choix ou pas, le terrain devient vite instable.
Il nous faut progresser en « marchant sur des œufs » et en faisant attention de ne pas faire partir un éboulement. Nous scindons d’ailleurs le groupe en deux. Le groupe du haut s’arrêtant pour laisser revenir celui du bas qui se met à l’abri d’éventuelles chutes de pierres. Nous progressons ainsi presque jusqu’au sommet et après placement d’une main courante sur 40m sur un passage plus raide. Les 100 derniers mètres se font en escalade facile mais sur rocher hyper-pourri. Notre horizon se dégage petit à petit, le sommet est proche, le vent se lève d’ailleurs un peu. Vers 11h, tout le monde est en haut. Nous pouvons admirer de nouveau l’ensemble du massif, et bien au-delà.
Pour l’équipe, c’est un réel sentiment de réussite qui nous envahit. Je sens que tout le monde est très content. La descente se fait sans encombre par le même itinéraire que celui de montée.
Les jours ont passé. Le voyage touche à sa fin. Il ne nous reste que 2 jours sur place. Nous décidons alors de retenter l’ascension du Boks. C’est notre dernière course. Toute l’équipe repart. Pourtant, le ciel n’est pas clair, je crains encore des précipitations. Plus nous montons, plus le ciel se couvre. Tout à coup, nous sommes surpris par un énorme coup de tonnerre. Puis des éclairs viennent lézarder le ciel. Il n’y a pas une minute à perdre car nous sommes exposés. Nous faisons rapidement demi-tour pour retraverser le glacier Ak-Saï entre les effrayants coups de tonnerre. Une pluie, puis une grêle nous tombent dessus. Je sens un peu de panique dans l’équipe. Nous n’avons juste pas le choix, il faut rentrer, il n’y a absolument rien pour nous mettre à l’abri avant le camp de base.
Ironie du sort, lorsque nous arrivons de l’autre côté du glacier, l’orage s’arrête… et en 5 minutes, un magnifique ciel bleu chasse les nuages et fait place à un grand soleil…
Le Boks ne voulait décidément pas de nous. C’est comme ça. Il faut l’accepter. Nous aurons tout tenté et il n’y aura pas de regrets. Cette dernière tentative sera aussi la fin de notre petite expédition. Le lendemain, nous rentrons à Bishkek…
Je ne peux que recommander ce massif. Il est extraordinaire et recèle de sommets absolument dingues. Au-delà de ceux que nous avons gravis, il y a le Corona et le Semionova, mais aussi le Svobodnaia Korea peak (très technique, on dirait la face nord des Grandes Jorasses).
Sans oublier l’Ak-Too, le Teke-Tor, etc… niveau topo, il n’y a pas grand-chose, surtout en français ou même en anglais. Yuri, le gardien du camp en connait cependant un rayon et sera une excellente source d’informations pour les sommets et différentes voies qui y mènent. Un topo sommaire de plus ou moins 150 voies existe sur le net. Il sera un bon point de départ pour vos itinéraires. Le mieux, comme toujours, est encore d’y aller et de découvrir petit à petit les lieux…
D’ailleurs en ce qui me concerne, j’y retourne en 2019.
Avis aux amateurs…
Pierre Dewit.
Photos : Maxime Alexandre – Trekking et Voyage