Il y a des personnes qu’on ne regrette pas de croiser sur son chemin. Celles-là même qui vous font découvrir leur passion avec cœur et humilité. Curieux de vivre de nouvelles aventures, j’étais il y a quelques temps rentré en contact avec Pierre qui m’a directement accueilli dans son monde, le monde de l’Alpinisme. Après une première expérience en sa compagnie dans les Écrins, je partais cet été sous sa tutelle en compagnie de 6 autres belges pour une expédition de 17 jours au Kirghizstan. Pierre fait partie de ces rencontres qu’on savoure et qu’on partage à volonté. Laissez-moi donc vous présenter cet homme des Montagnes au grand cœur à travers cette petite interview…
Pierre, d’abord merci de m’accorder un peu de temps. Tu fais partie des gens que j’apprécie beaucoup dans le milieu et je suis ravi de te poser quelques questions. Peux-tu justement te présenter aux lecteurs qui ne te connaissent pas en quelques mots ?
C’est moi qui te remercie Maxime. Je n’ai pas l’habitude de cet exercice qui consiste à parler de soi-même. Je vais donc tâcher de faire de mon mieux…
J’ai 46 ans et je suis papa de 2 enfants. Enseignant de formation et de métier, j’exerce aussi comme indépendant le métier de moniteur en alpinisme. Cette activité me permet de vivre ma passion de la montagne, et plus particulièrement, de l’alpinisme où j’ai le bonheur de partir à l’assaut des sommets alpins toutes les 2 semaines et durant les congés scolaires tout au long de l’année, printemps, été, automne, hiver, et ce, même en vivant en région liégeoise.
Au-delà des magnifiques Alpes, j’ai aussi eu la chance de pouvoir partir plusieurs fois en Himalaya népalais et en Asie centrale… Actuellement, j’ai presque 400 voies ou sommets à mon actif.
D’où te vient cet amour pour la montagne et quelle relation entretiens-tu avec elle ?
Initialement, j’ai pratiqué pendant une dizaine d’années l’escalade pure sur les rochers belges et français, principalement. Puis j’ai un jour eu l’opportunité participer à un stage d’initiation à l’alpinisme dans le massif du Mont-Blanc… Et ce fut LA révélation ! Un véritable coup de foudre ! Je me suis vraiment dit « C’est ça que je veux faire, c’est cet univers de la haute montagne que je veux apprendre à connaître pour y progresser un maximum… ». Depuis donc presqu’une vingtaine d’années, je dédie absolument tout mon temps libre à la pratique de l’alpinisme. Aujourd’hui, avec la fréquence assez importante de mes incursions là-haut, c’est presque devenu ma seconde résidence.
Etant basé en Belgique, as-tu suivi une formation particulière pour organiser des expéditions et encadrer des gens en montagne ?
Oui, bien sûr. C’est nécessaire, j’ai même presque envie de dire que c’est obligatoire. Le milieu de la haute montagne est intrinsèquement un milieu hostile à l’homme. L’être humain n’est pas fait pour vivre là haut. On y fait des visites plus ou moins longues, mais y vivre en permanence, c’est impossible. Il n’y a pratiquement pas de vie à ces altitudes. C’est pourquoi, après quelques années d’apprentissage de base et quelques courses faites en autonomie, j’ai décidé de suivre la formation de moniteur en alpinisme au Club Alpin Belge. A l’issue de cette formation, qui dure une année, le moniteur breveté a normalement les compétences pour emmener des groupes de personnes en haute montagne partout dans le monde.
S’entraîner en Belgique ou près de la Belgique lorsque l’on fait de l’alpinisme, c’est possible ?
Absolument ! Contrairement à certaines idées reçues, et même si la Belgique n’est pas un pays de montagnes, on peut très bien se préparer à la montagne au plat pays ! Il existe en Belgique, et tu le sais bien, une quantité incroyable de coins et de recoins où l’on peut s’entraîner à la course à pied, discipline de base pour l’entraînement à l’alpinisme. Les rochers belges sont aussi suffisamment nombreux et variés que pour y apprendre les bases de l’escalade. Certains rochers belges sont d’ailleurs de renommée mondiale, je ne citerai que le massif de Freyr, que tout grimpeur sortant un peu de chez lui connaît. Ensuite, même si le belge a tendance à trouver « loin » tout ce qui est à plus de 50km de chez lui en général, les montagnes ne sont « qu’à » 7h30 de route de chez nous. Cela peut paraître long pour certains… Mais je peux vous assurer qu’avec l’habitude, ce n’est pas si long que ça. Même partir un week-end, où l’on pourrait se dire que cela fait beaucoup de route pour peu de temps passé sur place, c’est tout à fait faisable. Quand je pars en week-end, je quitte Liège en fin d’après-midi avec mes compagnons d’aventure et nous sommes en montagne vers minuit (Ce n’est jamais que le temps d’une soirée). Le lendemain, après une bonne nuit, nous pouvons admirer le spectacle des montagnes qui n’attendent que nous… La journée du samedi est entièrement dédiée à la montagne. Et le dimanche, on se lève tôt pour pouvoir profiter jusqu’en début d’après-midi des montagnes. On est de retour au pays vers 22h en général… Et le lundi, vous pouvez commencer votre semaine avec des images magnifiques plein la tête. Définitivement, oui, il est tout à fait possible d’être alpiniste et de vivre en Belgique !
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Quels conseils donnerais-tu à celui ou celle qui a envie de se lancer et de découvrir le milieu de la Haute Montagne ?
Il faut d’abord être bien préparé physiquement. Même s’il existe des courses très faciles d’initiation, il faut quand-même un minimum de condition physique afin que les débuts soient un plaisir. Sinon, on risque d’être dégoûté. Pratiquer la course à pied reste vraiment la meilleure préparation, mais le vélo ou la natation sont aussi des disciplines sportives intéressantes pour l’alpinisme. Contrairement à ce qu’on pourrait croire par contre, il n’est pas absolument nécessaire de pratiquer l’escalade pour débuter en alpinisme. C’est mieux, certes, mais pas indispensable. Après, si on veut effectuer l’ascension de sommet plus techniques, l’escalade devient en effet incontournable… Ensuite, pour des raisons de sécurité, il est indispensable de partir avec un professionnel ou quelqu’un de suffisamment expérimenté. On ne s’improvise pas alpiniste… Et même si le fait d’être avec un pro ou un ami expérimenté peut donner une impression de relative facilité de progression dans l’univers de la haute montagne, il ne faut pas s’imaginer que c’est simple. Le leader d’une cordée ou d’un groupe doit tenir compte d’une quantité énorme de paramètres (Qualité du rocher, de la neige, de la glace, présence de crevasses sur glacier, météo, état général du groupe, le moral, la condition physique, le matériel à disposition, l’horaire, la difficulté de la course, etc, etc…) pour mener à bien son équipe. Ce qu’un débutant n’est absolument pas capable de faire. D’ailleurs, je fais souvent le constat que beaucoup de personnes s’imaginent pouvoir être autonomes en haute montagne après seulement une dizaine de sommets effectués derrière un guide, un moniteur ou un ami ayant de l’expérience. Je constate aussi que pas mal de personnes ont tendance à vouloir brûler les étapes d’apprentissage. Certainement influencées par les images ou reportages vidéo de plus en plus nombreux, ces personnes veulent trop rapidement aller dans des ascensions ou des voies techniques alors qu’elles n’ont même pas encore réellement acquis les bases… Je dois souvent tempérer les ardeurs de ces personnes, même si tout le monde a envie de se confronter avec les « extrêmes ». Il faut se donner du temps, tout simplement…
Si tu ne devais retenir que celui-là, quel serait ton plus beau souvenir lorsque que tu arpentais les cimes ?
LA question… Il y en a tellement de beaux souvenirs. Chaque week-end, j’ai des beaux souvenirs ! Allez, je me prête au jeu de la question quand-même !
Mon plus beau souvenir, c’est probablement la première fois où je suis parti au Népal. Je suis parti seul, je voulais découvrir l’Himalaya. J’ai donc été dans un massif situé entre le Langtang et l’Helambu. Je découvrais tout, c’était du pur bonheur. Depuis un lodge situé à 4200m, un matin, j’ai décidé de gravir un sommet seul. La valeur symbolique pour moi était grande : gravir un premier sommet himalayen en solitaire. C’est ce que j’ai fait. C’était un sommet, certes, totalement mineur ne culminant qu’à 5144m d’altitude, le Surya peak. Mais pour moi, à ce moment-là, c’était terriblement exaltant… Seul avec moi-même en Himalaya…
Ce milieu si particulier t’épanouit et cela se voit. As-tu cependant déjà vécu des moments plus difficiles en montagne ?
Malheureusement oui, je crois avoir peut-être connu ce qui pourrait être le pire. C’était en 2006, j’avais proposé à 3 amis, mon frère et mon beau-frère de partir faire un sommet tout simple, la Pointe Percée, dans les Aravis. Nous partions pour 3-4 jours. Les conditions météo étaient au top. Mon frère, qui était mon compagnon de cordée, était leader d’une cordée de 3 et moi, leader de l’autre. Après avoir été jusqu’au sommet, à la descente, la cordée de mon frère a dévissé dans un névé. Dans leur glissade, ils sont tombés de 2 barres rocheuses les entraînant 300m plus bas… Mon frère et mon beau-frère y ont trouvé la mort. Assez miraculeusement, le 3e de la cordée s’en est quant à lui sorti.
Cette tragédie ne laisse pas indemne. Il n’y a pas une seule fois où je pars en montagne où je ne repense pas à cet événement. Il faut apprendre à vivre avec. Il n’y a rien d’autre à dire. La montagne est dangereuse, on le sait… Mais on prend certainement plus de risque sur les routes qu’en haute montagne… C’est ainsi.
Cet été lors d’une expédition que tu organisais, je découvrais la région de la vallée d’Ala Archa dans le massif du Tian Shan au Kirghizstan. On a d’ailleurs remporté le prix du public « Jeunes espoirs » au Festival Maurice l’Aventure pour notre court-métrage. Que retiens-tu de cette aventure ?
Je retiens, au-delà des sommets superbes que nous avons gravis ensemble, surtout une aventure humaine avec des compagnons d’aventure exceptionnels. Souvent, dans ce genre d’expédition, on reste focalisé sur les aspects « sportifs ». Mais rien de tous ces aspects ne serait possible sans une équipe au top tant physiquement que psychologiquement ou que du point de vue relationnel. Le paris n’était pas gagné d’avance, à part une personne qui était déjà parti avec moi 2 fois au Népal, pour les autres, c’était une première dans ce style là. Mais finalement, cela s’est déroulé super bien, malgré les difficultés météo que nous avons rencontrées à 2 reprises pour tenter l’ascension d’un sommet qui n’a définitivement pas voulu de nous lors de cette expédition. J’y retournerai d’ailleurs durant l’été 2019… Il y a encore un énorme potentiel à découvrir dans cette vallée. S’il y a des amateurs…
Nous organisions également récemment un super concours pour offrir un week-end d’accompagnement en Haute Montagne à un de mes lecteurs. Peux-tu déjà nous dire où tu vas nous emmener ?
En fonction des conditions météo et de terrain, je pense que je vous emmènerai dans les Écrins. On irait dans le massif du Combeynot pour effectuer la traversée de l‘arête des Clochettes le samedi. Et le dimanche, nous irions dans le vallon du Petit Tabuc pour grimper un couloir ou une goulotte de 400-500m… Ambiance haute montagne assurée !!!
Je me réjouis ! Et peux-tu nous parler de tes prochains projets ? Allais fais-nous rêver !
Hormis les innombrables voies ou petits projets au programme de cette année, ce qui ressort le plus pour le futur plus ou moins proche, c’est l’ascension du Mont Ushba. Il s’agit d’un magnifique sommet dans le Caucase géorgien. Ce sommet, aussi surnommé « le Cervin du Caucase » n’est pas un sommet facile d’accès. Aucune des voies pour atteindre le sommet n’est facile. Avec 3 autres compagnons de cordée expérimentés, nous tenterons l’ascension par l’arête nord-est.
Ensuite, j’ai un projet pour l’été 2019 qui consiste en un combiné mer/montagne en Alaska dans les montagnes Chugach pas très loin d’Anchorage. Le but est de partir en voilier des côtes sud de l’Alaska pour sinuer dans le fjörd Collège pour nous approcher de la langue terminale du glacier qui s’y jette. Nous laisserons le voilier ancré pour prendre pied sur ce glacier avec des canoës et continuer à pied pour effectuer l’ascension d’un sommet…
En hiver 2019, avec 2 amis, on se lancera à l’assaut des 6962m d’altitude du classique Aconcagua, le point culminant de l’Amérique et de toute l’hémisphère sud.
Voilà pour le principal. C’est vrai qu’en général, un alpiniste ne parle pas trop de ses projets perso. On attend toujours d’y être allé, et d’y être revenu, pour en parler une fois chose faite… Sinon, j’ai mille idées en tête que je compte bien concrétiser. L’ascension de sommets vierges m’attire particulièrement. A ce sujet, je lorgne vers certains sommets du Népal et du Kirghizistan… Il y a encore des milliers de sommets qui n’ont jamais vu d’êtres humains…
Pour terminer et si ce n’est pas trop indiscret, as-tu un rêve lié à la montagne ?
Les rêves sont là pour être réalisés. C’est du moins le cas pour la plupart d’entre eux, et c’est le cas pour la plupart de mes rêves de montagne. Il y a cependant des voies et des sommets que je ne pense pas pouvoir réaliser un jour. Manque de temps, difficulté de bien me préparer physiquement, de former une équipe assez forte… Je pense à la voie Eternal Flame dans les tours de Trango, au Pakistan. J’ai nourri l’espoir il y a 2 ans de réunir d’excellents grimpeurs belges pour effectuer cette voie. Mais voilà, les 3 grimpeurs auxquels je pensais n’ont pas été convaincus. Or pour ce genre de projets, il faut absolument le top niveau et être en équipe. Je pense aussi à la directissime en face nord du Jannu, dans l’est de l’Himalaya népalais. Aussi du lourd là… Mais il y a tellement de sommets et de voies à faire… Il faudrait 10000 vies pour peut-être tout faire… Et le but n’est pas non plus de tout faire. Le principal, je vais te le dire, c’est : le plaisir !!!
Publié par Pierre Dewit sur mardi 9 Janvier 2018
Merci Pierre, je te souhaite plein de bonnes choses pour 2018, de réaliser tous ces jolis projets et surtout d’en faire partie à un moment ou à un autre… 😉